Après quelques digressions vers des sujets plus actuels et plus graves, je vous propose de revenir à nos "fondamentaux", à savoir l'histoire passionnante de la marque Citroën, et de nous intéresser à l'aventure américaine de la marque au Chevron.
La fascination d'un homme
Il faut tout d'abord souligner l'intérêt et même la fascination de l'homme André Citroën pour tout ce qui venait d'outre-Atlantique. Ce dernier s'intéresse de près aux méthodes de production en vigueur là-bas, en particulier le Taylorisme qu'il étudie en détail tout ingénieur qu'il était. Son but initial était de renforcer sa participation à l'effort de guerre contre l'ennemi allemand en produisant d'immenses quantités d'obus. Pour cela, il appliqua à la lettre les méthodes de production en grande série qui étaient alors encore quasi inconnues en Europe. Il réussit à passer de quelques centaines d'obus par jour à plus de 10.000 ! Une fois la guerre finie, il reçut les honneurs de la part de l'Etat français reconnaissant, mais ses pensées étaient à ce moment précis déjà bien loin... Il réfléchissait à la reconversion de ses usines, car en temps de paix, la fabrication d'obus n'est pas à proprement parler un secteur porteur. Déjà familiarisé à l'automobile par son passage cher le constructeur Mors, il décide d'appliquer les méthodes de production expérimentées pendant la Guerre et de les appliquer à la fabrication d'automobiles, et il créa ainsi les premières voitures fabriquées en grande série en France, avec le succès que l'on sait.
Citroën était un homme foisonnant d'idées, visionnaire et innovant. Innovant ? oui et non. Il savait mieux que tout autre s'approprier les innovations des autres lorsque celles-ci semblaient prometteuses mais encore confidentielles. Sa curiosité d'esprit, son ouverture sur le monde en général et les Etats-Unis en particulier lui permirent de se distinguer et de se forger une image de pionnier dans de nombreux domaines. A une époque où la France ne s'intéressait que très peu à ce qui se faisait à l'étranger, Citroën, lui, multipliait les voyages d'étude. Il rencontre Henri Ford à plusieurs reprises et fut très impressionné par ce qu'il découvrit dans les usines de Détroit, et d'une manière plus générale, fut fasciné par le foisonnement d'idées et l'avance économique des Etats-Unis à la veille des années 30.
Il y rencontre également un certain Budd, qui a inventé un procédé de soudures de tôle d'acier embouties. Il s'empresse d'en racheter la licence et "invente" la carrosserie "tout acier" à une époque où les armatures en bois constituaient l'ossature de tout véhicule. La carrosserie tout acier était plus sure, plus résistante, permettait une fabrication plus rapide et plus économique.
L'exportation de véhicules
On aurait pu imaginer que cette fascination des Etats-Unis aurait incité Citroën à tenter d'y exporter massivement ses véhicules. Ce fut un objectif de la marque, et ce dès les années 30 et jusqu'aux années 70. Mais malheureusement, l'aventure américaine de Citroën connut un succès d'estime mais jamais le succès commercial. Quelles en ont-été les raisons ?
Dans les années 30, déjà, André Citroën eut l'idée d'y exporter des véhicules. Des importateurs locaux comme par exemple The Challenger Motor Car Co à Los Angeles tentèrent d'y vendre des Traction- Avant. Des publicités furent crées et des catalogues imprimés. Cette initiative resta malheureusement anecdotique pour plusieurs raisons. L'automobile est en effet déjà un produit de grande consommation aux Etat-Unis à cette époque, la concurrence règne en maître, les prix son bas. Citroën n'a pas la force de frappe permettant une distribution sur l'ensemble du territoire, se limitant de ce fait à quelques grandes villes. Alors que la Traction est une "petite voiture économique" si on la compare aux productions américaines de l'époque, cette dernière est vendue fort cher, en raison des coûts de transport importants.
La deuxième aventure américaine de taille fut celle de la DS. Là encore, on ne peut que regretter l'improvisation et le manque de moyens de la marque aux Chevrons.
Acte 1. Dans les années 50, Ciroën avait envoyé aux Etats-Unis l'un de ses collaborateurs, Charles Bucher afin de redynamiser Citroën Car Co, entreprise fondée afin vendre aux américains ou aux Français résidant aux Etats-Unis les voitures dont ils avaient besoin lors de leur séjour en France (les fameuses plaques rouges "TT"). En visite à Paris pour le Salon de l'Auto 1955, ce dernier fut stupéfait comme des milliers d'autres personnes en ce matin d'octobre 1955 lorsque Citroën y présenta la nouvelle DS. Il comprit vite que la DS était pour Citroën une opportunité unique de revenir aux Etats-Unis. Une voiture est donc envoyée sur place pour y être présentées au Salon de Chicago. Elle y connut un beau succès d'estime.
Acte 2. Un autre Français installé aux Etats-Unis et dénommé René France découvre la DS et décide de la vendre aux Américains. Ayant déjà une concession automobile il obtient le panneau Citroën et commence à vendre des DS mais avec peu de succès. Son design pur en sans fioritures ne plait pas beaucoup aux yankees adeptes d'ailes proéminentes et de chromes rutilants. La voiture effraie, car elle monte et descend toute seule, sa pédale de frein est minuscule et même les vendeurs refusent de la faire essayer. Ses problèmes de fiabilité furent également à l'origine de bien des déboires. Les clients tombaient tous en panne et, comme le réseau de réparateurs était inexistant, les véhicules immobilisés s'accumulaient. Les principaux problèmes étaient liés au circuit hydraulique: le liquide "rouge" LHS ne supporte pas les rigueurs du climat. Il faudra faire de nombreux essais (y compris à la Ferté-Vidame) pour trouver une solution au problème. Finalement ce n'est que l'arrivée du liquide vert LHM qui résoudra définitivement les pannes d'origine hydraulique.
En mai 57, Citroën dépèche en urgence sur place Jean Baert, ingénieur du bureau d'études. On lui explique qu'il y a "là-bas 300 DS et qu'elles ne marchent pas". Une fois sur place, on lui explique que les DS en question sont stockées sur le port de New-York, sous un immeuble en construction ouvert à tous les vents. Les voitures étaient dans un état lamentable, corrodées et ...en panne. Jean Baert se charge alors de les réparer et de les remettre en état avec l'aide d'ouvriers américains embauchés pour l'occasion. Il faut changer la direction, refaire les circuits hydrauliques, remplacer les pièces rouillées, repeindre le compartiment moteur etc... Citroën commence à s'organiser et envoie des pièces de rechange par bateau.
Acte 3. René France abandonne sa petite ville du New Jersey en 1960 et rejoint Charles Buchet à New York où se trouve le siège de Citröën USA ainsi qu'un beau showroom sur Park Avenue. Et contre toute attente, les commandes affluent ! New york est en effet une ville "à part" et la clientèle, plus raffinée, aime rouler "décalé" : terrain favorable à notre belle DS. La situation s'améliore. Les Citroën sont également distribuées sur la Côte Ouest. Les pièces détachées arrivent. Une école de formation pour techniciens est également créée. Plusieurs modèles sont importés : la DS en premier lieu mais également la 2 CV, l' Ami 6 (mais sans grand succès), la Méhari (très chic, à Hawaii) et même par la suite quelques GS ainsi que deux Cabriolets Chapron, qui coûtent environ 5.000 dollars, soit plus que les Cadillac...
L'arrivée de la SM marquera l'apogée de l'aventure Citroën aux Etats-Unis. Malgré un prix de vente encore une fois très élevé, elle plait, et il s'en vend 3.500 exemplaires de 1971 à 1974. La SM recoit par ailleurs le titre prestigieux de voiture de l'année 72 décerné par le magazine Motor Trend...
La DS nouvelle version connaît également un succès relatif dans sa version "américanisée" : les phares perdent leur verre de protection, la climatisation apparaît. Elle séduira de nombreux acheteurs et jouit encore aujourd'hui d'un vrai prestige outre-Atlantique...
Le rachat de Citroën par Peugeot sonna le glas de cette belle mais douloureuse histoire : ce dernier ayant des ambitions aux Etats-Unis décidera de stopper en 1977 l'importation des Citroën. Quelques irréductibles réussiront malgré tout à poursuivre l'aventure, et importeront des CX malgré l'opposition de l'Usine.
Epilogue
Voilà, la tentation américaine s'arrête là : faute de moyens suffisants pour investir cet immense mais difficile marché, Citroën n'obtint pas les résultats escomptés. Il reste que les Etats-Unis ont eu pour l'homme Citroën puis pour la marque un immense pouvoir d'attraction. J'ai cru entendre dire que le développement de la nouvelle C6 a été effectué en tenant compte d'une possible exportation vers le Nouveau Monde. Pourquoi pas ? la marque y garde un capital de sympathie non négligeable, mais si elle décide un jour de retenter l'aventure, elle devra déployer des moyens immenses pour se donner toutes les chances de réussir. Est-ce encore possible ? Et peut-elle y gagner durablement de l'argent, alors que la concurrence y est exacerbée et les barrières à l'entrée certainement bien plus élevées qu'il y a 50 ans...?
Je laisse le débat ouvert, peut-être que les dirigeants de Citroën se pencheront sur cette question difficile dans un futur lointain ou proche...qui sait ?
On apprend aussi en bas de la page 40 de CITROËN 80 ans de futur que le fameux moteur flottant apparu sur les C4G/C6G était une exclusivité pour le marché Européen du "Floatting power" breveté par Chrysler !
Rédigé par : Didier Rols | 16 mai 2009 à 14:51
2 petits liens pour se faire une idée du capital sympathie dont jouissent encore les Citroën aux États-Unis :
http://citbitz.com/blog/
http://web.me.com/robertmonteleone/Drive_She_Said!/Links.html
Rédigé par : Didier Rols | 16 mai 2009 à 14:59
Dans "L'aventure américaine" il y a quelques inexactitudes. Aucune GS ne fut vendue aux USA, non homologuée. Une poignée (l'ex chef mécano de Citroen Canada me dit 4) fut importée au Canada en 1971. Citroen se retira du marché Nord-Américain en 1975, non 1977, en raison des normes de "sécurité" en vigueur ici: une norme sur la hauteur des pare chocs était impossible à rencontrer avec la suspension hydropneumatique. La DS fut vendue jusqu'en 1972, la SM deux ans de plus.
Rédigé par : Yves | 17 mars 2010 à 03:04