Souvent décriée mais aussi souvent adulée... De nombreux artistes ont choisi l'Automobile comme source d'inspiration. On pense bien sûr à Sagan, ou bien Barthes...mais il existe aussi quelques beaux textes aujourd'hui oubliés. J'en trouve parfois au gré de mes recherches et j'ai décidé de vous en faire profiter, chers lecteurs toujours plus nombreux (14.000 pages vues depuis la création de Citropersoboulot...!)
Nous commençons avec un texte écrit par un certain Luc Durtain (1881-1959). Vous ne connaissez pas...? c'est un auteur aujourd'hui oublié mais qui connut son heure de gloire dans les années 30. Il signe ici un très beau texte que je vous laisse découvrir.
"Vous voici dans votre maison ou votre chambre, dans votre usine ou votre bureau. Les heures, l'une après l'autre, passent : et le bonheur que vous goûtez à retrouver les gestes habituels, l'activité accoutumée -ce plaisir du soc qui trace le sillon- commence s'user. Vous vous sentez peu à peu prisonnier de ces chiffres qui vous ont assailli, de ces visages dont chacun entend emporter quelquechose de vous même : ces vingt ou trente ou cinquante Shylock qui chacun exigent un morceau de votre substance. L'opacité des murs commence à vous peser, et plus encore, vous semble-t'il, le don, toujours le même, des transparences qui s'y percent. Toujours aux vitres le même coin de rue ou de cour. Toujours le même morceau de ciel qui, à la longue, semble s'être usé...
Vous possédez un corps où s'inscrivent des exigences si diverses, si renouvellées ! Vos yeux sont faits pour obtenir des lieux qui diffèrent les uns des autres, pour recevoir des horizons qui changent sans cesse, sous le témoignage de l'infini. Votre oreille ambitionne des bruits neufs. Vos narines et votre gorge, des odeurs qui étonnent, un air irrespiré. Vos muscles réclament. Votre cerveau veut une pâture qui n'a pas été déjà mastiquée...vous vous sentez lésé, démuni[...].
Alors survient le prodige? Le prodige, je dis bien : car quel autre nom donner à la docilité subite des choses ? Et qu'est-ce qu'un miracle, sinon la réponse immédiate du monde à un mot, un signe, à un talisman ?
Voici.
Il suffit que vous ayez grimpé dans cette boîte-à-merveilles, montée sur roues ! Vous appuyez d'un pied sur un bout de fer, et, comme le noir Génie des Mille et une Nuits appararaissait au frottement de la lampe, magique, un grondement s'élève, puis frémissant, épanoui, redoutable : "Me voici !" Vous n'avez plus qu'à empoigner un cercle enchanté, à le tourner comme il vous plaît. Même pas besoin de mots, c'est l'acceptation silencieuse : "Où tu voudras ! j'accompagne ton geste, ton regard !"
[...] Ce n'est pas, comme en avion, la docilité de l'espace : ici, vous ne pouvez pas oublier, dédaigner les choses. Le regard de l'homme au volant ne saurait réduire les maisons, les villes à la proportion de jouets, faire des champs ou des monts des tâches infimes, rétrécir la planète. L'admirable, c'est qu'en voiture le globe reste collé à vous. Vous allez où vous voulez, mais à la condition formelle de regarder clair, d'apprécier avec justesse, de juger avec discrimination. ce ne sont pas seulement des droites ou des courbes qu'il faut suivre, c'est le croisement qu'il faut reconnaître, la pente qu'il faut évaluer, et l'état du sol, la vitesse relative des autres véhicules, les esprits des autres chauffeurs et des piétons, et les jeux même du hasard. [...]
Certes, ce n'est pas que vous n'ayez par moments le droit en automobile à de l'ivresse : si on nomme ainsi la "fleur" que la rapidité sait rendre à ce vieux fruit souvent tâté qu'est notre globe. Mais une ivresse sobre, mesurée. Voilà les arbres peu à peu penchés, les champs obliques, les maisons qui soufflètent le vide...Oui. Mais une certaine pédale veille. Dominant ce ronronnement de bête satisfaite que pousse le moteur libéré, votre main de dompteur sait empêcher le monstre de surgir. Que fait cette rapidité ? Elle emporte vos soucis, elle dépasse les lents rabâchements intérieurs. Vous êtes arrivés hors de vous même; votre esprit, transporté au bout de vos regards, se croit directement contigu à l'objet. Et mon faites mieux que connaître le monde, vous l'avivez. Ces banlieues modernes, devenues si amples, si monotones, vous les abrégez, vous ressuscitez les différences en rapprochant les lieux. Mieux encore, tous ces édifices et ces paysages sont à vous...." Luc Durtain
Des lignes délicieusement rétro...Une ode à l'évasion, à la vitesse...L'automobile est perçue ici comme un remède à la monotonie, à la lassitude du quotidien. On peut imaginer notre auteur au volant d'un torpedo, son grand volant en bakélite entre les mains, fonçant à près de 100 à la conquête des route encore désertes de la France des années années 30...Je vous donne rendez-vous très prochainement pour vous dévoiler une nouvelle prose sortie de l'oubli...
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