1932 : la crise économique venue des Etats-Unis a frappé la France tardivement mais profondément. La production automobile en France sera cette année presque divisée par deux par rapport à 1929, celle de Citroën passera d'un record de 102.000 en 1929 à 48.000. De nombreux petits constructeurs vont être précipités vers la faillite. La société André Citroën a quant à elle continué à investir : reconstruction de l'usine de Javel en seulement 5 mois en 1933, commande massive de machines outil en provenance des Etats-Unis, investissements publicitaires très élevés, c'est bientôt une crise grave de trésorerie qui s'installe à Javel. Il faut précipiter le lancement de la "bombe Citroën", celle qui devait être tellement en avance sur son temps qu'elle permettrait enfin de rentabiliser, et pour longtemps, les installation ultramodernes de l'appareil de production Citroën : Cette nouveauté tant attendue en interne, c'est celle qu'on appelle aujourd'hui communément la "Traction Avant". Son développement fut accéléré : 18 mois seulement, et pour cause, elle porte tous les espoirs de la firme ! Hélas, sa sortie précipitée va avoir l'effet inverse de ce qui était escompté : certes, elle fut unanimement saluée pour sa modernité mais souffrait à son lancement de graves problèmes de fiabilité : les cardans cassaient, la caisse se fendait...les ventes démarrèrent doucement et surtout les ventes du modèle précédent, soudain démodé, s'effondrèrent, privant ainsi la maison Citroën d'une trésorerie dont elle avait tant besoin.
Le 24 février 1934, première alerte : les banques refusent le décalage d'une échéance, et Citroën réussit à la payer in extremis en faisant appel à son "réseau d'amis". Le 14 décembre, alors que la SA André Citroën est financièrement à bout de souffle, un obscur fournisseur, la Compagnie américaine des jantes en bois, refuse un report d'échéance de 60.000 francs. Le dépôt de bilan est prononcé le lendemain, 15 décembre 1935. S'en suit une courte mais inexorable descente aux enfers pour André Citroën qui pert absolument tout ce qu'il possédait en six petites semaines. Le 31 janvier 1935, après s'être démis de ses fonctions d'administrateur délégué, André Citroën se voit prié de désormais ne plus tenter de revenir dans les usines qu'il a créées. Moins de 4 semaines après cet événement, André Citroën, affaibli, est admis à la Clinique Georges Bizet. Atteint d'un cancer de l'estomac déjà avancé, il décèdera 4 mois plus tard, le 4 juillet. C'est la fin d'une aventure exceptionnelle, 15 années d'effervescence pendant lesquelles la société André Citroën a révolutionné l'automobile en France, créant les bases d'un modèle de développement qui reste d'actualité aujourd'hui encore.
Qui a été vraiment André Citroën ? Un homme finalement très secrêt, malgré son côté mondain, et surtout, un chef d'entreprise hors pair, admiré par ses plus proches collaborateurs, respecté par ses ouvriés et employés, redouté par ses concurrents...
J'ai lu ces dernières semaines quelques ouvrages passionnants sur André Citroën et son entreprise entre 1919 et 1935, dont le récent "André Citroën" de John Reynolds, intéressant pour les nombreuses informations sur le contexte de l'époque, l'excellent "Citroën, une vie à quitte ou double" de Wolgensinger, ancien Directeur de la communication de Citroën pendant 30 ans, ou encore l'émouvant "André Citroën, le précurseur" de Norroy, ancien collaborateur direct du "Patron"...
A chaque fois, j'ai parcouru ces ouvrages comme de véritables romans tant l'histoire d'André Citroën fut incroyable et passionnante. De même, tous les témoignages directs de ceux qui l'ont cotoyé, comme Haardt, Norroy, ou encore Charles Rocherand ont en commun une profonde admiration pour l'homme qui leur a permis à tous de vivre une aventure exceptionnelle, par son leadership, ses idées novatrices et visionaires, son dynamisme forcené et son dévouement total pour son entreprise, véritable "ruche" comme il le disait lui même. Entrepreneur de génie, son ascension fut rapide, sa chute brutale. Ses idées étaient les bonnes, c'est certain. Mais souvent, il voulut aller trop vite pour les réaliser, sans se préoccuper suffisamment de la capacité du marché et de l'entreprise à les "digérer". "Dès l'instant qu'une idée est bonne, le prix n'a pas d'importance" disait-il...cruelle erreur d'appréciation...qui précipita sa chute, comme quoi, finalement une idée n'est rien sans la capacité de la réaliser...
Il reste que Citroën fut certainement le premier manager moderne, qui sut donner une vision à son entreprise, vision claire et déterminée, véritable programme d'action dont beaucoup de groupes actuels pourraient s'inspirer tant elle est teintée d'enthousiame, d'optimisme et de force...je laisse André Citroën nous la décrire avec ses propres mots :
"Lancer en France la première voiture construite en grande série, vaincre le pessimisme des uns, confondre le scepticisme des autres, triompher des mille difficultés d'après guerre, forcer le destin avec le sourire, voilà l'esprit Citroën !!!
Voir grand, voir loin, négliger les critiques malveillantes, soutenir, encourager, récompenser les efforts des collaborateurs, les inciter à faire plus, à faire mieux... voilà l'esprit Citroën !!!
Faire confiance au personnel, tendre les volontés vers la perfection, vaincre la routine, repousser les préjugés les plus enracinés, s'attacher à l'organisation rationnelle du travail, modifier du samedi soir au lundi matin l'organisation d'une usine entière dans le but de diminuer la fatigue des ouvriers et d'abaisser les prix de revient tout en augmentant les salaires, conquérir de haute lutte de nouveaux marchés, imposer la marque du double chevron en deça et au delà des frontières : voilà l'esprit Citroën !!!
Escalader les cols neigeux ou franchir les déserts sahariens, les brousses marécageuses, les rivières, les lacs et la mer pour aboutir à Madagascar en autochenilles ; rapporter de ces croisières des documents géographiques et scientifiques du plus haut intérêt, les faire servir à tous, les diffuser par films, par les expositions et aussi par la plume : voilà l'esprit Citroën !!!
Pratiquer une publicité jusqu'alors inconnue, inscrire le nom symbolique dans les airs, sur la tour Eiffel, sur les routes, faciliter par cela même le tourisme ; applaudir à la concurrence génératrice d'émulation, vulgariser l'usage de l'automobile par l'abaissement des prix de vente, l'amélioration du confort et de la qualité des véhicules : voilà l'esprit Citroën !!!
Travailler à la formation des éléments de maïtrise qualifiés, rédiger des notices d'entretien et de réparation des voitures pour l'édification de la clientèle et son service ; supprimer du dictionnaire de la langue française le mot "impossible" : voilà l'esprit Citroën !!!
Bonjour, j'ai parcouru de longs moments votre blog, avec beaucoup de plaisir grace aux articles, aux photos, et aux témoignage reccueillis. Je possède une DS Spéciale de 1971, un vrai bonheur. Je ne sais pas comment je suis arrivé là ? Je connaissais déjà le blog de Philippe Losson, il présente toujours du beau matériel, comme je suis proche de Lyon, je ne désespère pas de le renconter. Encore bravo pour votre travail. Cordialement
Rédigé par : ASTIER Thierry | 10 mai 2007 à 18:15