La "22" occupe une place très particulière dans le coeur de tous les citroënistes. En effet, il s'agit sans aucun doute de la Citroën la plus mystérieuse, la plus mythique également, car c'est celle dont tout le monde parle mais que personne n'a vue depuis sa présentation au Salon de Paris 1934. La quête de la "22" s'apparente donc à la recherche d'un véritable Graal pour les Chevronnés les plus passionnés. Tout ou presque a été dit ou écrit à propos de la "22" et à force, il est difficile de faire le tri entre information véritable et fable tant ce modèle a fait couler d'encre. Je recommande d'ailleurs à ceux que le sujet intéresse la lecture de l'ouvrage le plus complet, celui signé Fabien Sabates et Hervé Laronde, "La 22, enquête sur une mystérieuse Citroën", aux Editions Rétroviseur, malheureusement épuisé. Il se dévore comme une véritable investigation policière, avec ses preuves irréfutables, ses témoignages plus ou moins crédibles, ses polémiques et ses inévitables fausses pistes.
Pourquoi la "22" est-elle si mystérieuse ? Qu'a-t-elle de si spécial ? De nombreux prototypes développés dans le secret des bureaux d'études sont pour certains beaucoup plus innovants techniquement et beaucoup plus secrets. Pourtant, ils ont disparu à jamais sans que personne ne décide de s'y intéresser particulièrement. Mais la "22" continue à fasciner et sa quête semble ne jamais devoir s'arrêter, pourquoi ?
1. Le porte-drapeau de la gamme Traction Avant
1934. Alors que la crise économique mondiale a touché la France tardivement mais profondément, Citroën décide de frapper un grand coup, espérant marquer à nouveau les esprits, démoder la concurrence et faire tourner son usine de Javel, entièrement modernisée à grands frais en 1933. Il demande à son équipe de choc de l'époque de développer un modèle révolutionnaire en moins de 18 mois. André Lefebvre, tout juste embauché en 1933 se met au travail, avec entre autres talents, Sainturat qui conçoit le moteur et Bertoni qui s'attèle au style. Et la nouvelle "Traction Avant" est présentée en avant-première aux principaux concessionnaires de la marque dès le 24 mars 1934. Un record !
Effectivement, la "bombe" Citroën démode tout ce qui roule. Elle devait avoir deux ans d'avance sur sa concurrence, mais elle en avait en fait beaucoup plus, avec sa carrosserie monocoque, sa transmission par cardans aux roues avant, ses freins hydrauliques, sa tenue de route extraordinaire et son grand confort. Et quelle ligne ! Malheureusement, un manque de mise au point se fait sentir comme souvent chez Citroën. La caisse n'est pas assez rigide, les joints de cardans Repza ne sont pas au point et doivent être remplacés en catastrophe par des joints Glaenzer, le moteur, par ailleurs excellent, chauffe, les suspensions ont tendance à s'affaisser, la boîte est fragile. Les premiers acheteurs essuient de nombreux déboires, et le Bureau d'Etudes continue à mettre au point la voiture alors que les livraisons ont débuté. Citroën, pressé par ses créanciers et faisant face à une situation financière de plus en plus périlleuse presse ses concessionnaires de commander leurs voitures, afin de faire rentrer du cash...tout ceci ressemble à une fuite en avant, un dernier coup de poker de la part d'un homme qui aimait tant jouer au casino...
Le Salon 34 est l'occasion d'une démonstration de force de la part de Citroën. Il n'expose pas moins de 12 modèles de Traction, dont l'inédite 22, avec son moteur 8 cylindres, et la promesse de rouler à la vitesse vertigineuse de 140 km/h...La 22 doit devenir le porte-drapeau de la gamme Traction, à la fois moderne, issue de la grande série mais très exclusive. Citroën, toujours fasciné par les Etats-Unis et son mentor d'outre-Atlantique, Henri Ford, souhaite concurrencer sur leur propre terrain les Ford à moteur V8. La 22 doit permettre à l"élève de dépasser le maître...
2. Un modèle à peine abouti
Citroën souhaite aller vite, trop vite. La 22 ressemble aussi à un coup de poker. Personne ne sait que est le degré d'aboutissement du moteur V8 maison qui cube donc très exactement 3.822 cm3, soit deux fois les 1.911 cm3 du 4 cylindres dont il est étroitement dérivé (mêmes cylindres de 78x100, mêmes pistons). Les trois modèles (Limousine, Roadster et Berline) présentés au Salon de 34 ont des capots scellés, mais possèdent vraisemblablement des moteurs factices, puisque certaines photos montrent la limousine capot ouvert, et que le moteur du Roadster a également été vu. Qu'en est-il du reste du véhicule ? Boîte de vitesses, trains roulants, etc..L'homologation semble avoir également été effectuée dans l'urgence, le 5 octobre 1934, soit le lendemain de l'ouverture du Salon. Certains ont essayé la voiture, et il semble acquis que cette dernière manquait de mise au point, et ce d'autant plus que les modèles déjà sortis comme la 7 et la 11 souffraient de nombreux défauts de jeunesse.
Pourtant, la 22 fascine. Et pour cause, elle allait disparaître aussi rapidement qu'elle était apparue, laissant derrière elle de nombreux mystères jamais élucidés. Car la particularité de la 22 CV est d'avoir réellement existé, pendant quelques semaines, ce qui est un fait assez unique dans l'histoire de l'automobile. Il y eut en effet quelques véhicules produits, essayés pas des journalistes et des clients, et peut-être même vendus. La 22 a été vue sur plusieurs Salons, celui de Paris, mais aussi Bruxelles, peut-être à Varsovie. Elle a été exposée dans le hall des Champs-Elysées, mais aussi Rue de l'Europe et certainement à l'Opéra. Certaines auraient même été prêtées à des concessionnaires. Des documentations ont été distribuées, de nombreuses publicités en ont fait mention...bref, la 22 fut, pendant un bref instant, l'événement dont tout le monde parlait...
3. Le naufrage et la disparition
Nous sommes fin octobre 1934. Le Salon de l'Auto a fermé ses portes. L'euphorie de façade qui avait régné sur le stand Citroën a laissé place à une terrible réalité. Citroën ne peut plus faire face à ses traites, et pour la première fois, André Citroën se résigne à admettre que cette fois, la situation était désespérée. Les tentatives nombreuses de renflouement et de renégociation des dettes de l'entreprise n'ont rien donné. En janvier 1935, André Citroën est chassé de l'entreprise qu'il a créée par le Conseil d'administration. Le principal créancier, Michelin, reprend les rênes, mais le "Patron", rongé par l'échec d'une vie, disparaîtra des suites d'un cancer de l'estomac 6 mois plus tard. Il lui aura manqué quelques mois pour voir le succès de son modèle, celui sur lequel il a tout misé et tout perdu, la Traction Avant...
La reprise en main par les Michelin signera l'arrêt de mort de la 22. En aurait-t-il pu être autrement ? On peut en douter. La priorité pour les Michelin était de fiabiliser la Traction et de mettre en place un sévère plan d'austérité pour stopper l'hémorragie. Dans ce contexte particulier, la "22" était tout sauf un véhicule vital pour l'entreprise. Loin d'être au point, chère à fabriquer, ne représentant que de faibles volumes, elle n'était encore qu'un porte-drapeau virtuel pour la gamme Traction avant, et son arrêt n'aura de conséquences graves ni pour l'image de la Traction avant, et encore moins pour l'entreprise.
Et la "22" disparut donc du jour au lendemain. Certainement considérée comme un symbole gênant du passé un peu trop flamboyant et tumultueux de l'entreprise, toutes ses traces furent méthodiquement effacées, à commencer par les modèles restants, reconditionnés en 11, les plans remisés, les pièces ferraillées, rien ne devait rappeler ce modèle mort né devenu trop encombrant. Et c'est précisément cette volonté de faire "disparaître" tout ce qui avait de près ou de loin un rapport avec la 22 qui allait indirectement être à l'origine du "mythe"...
4. La quête
Rares sont les passionnés de la marque aux Chevrons a n'avoir pas rêvé secrètement de retrouver au fond d'une grange ou d'un garage une authentique "22" cachée ou oubliée depuis des dizaines d'années...la 22 est en effet devenue un véritable Graal pour beaucoup et le fait de trouver un document, un objet, une preuve de l'existence de la 22 procure un sentiment qui ne doit pas être très éloigné de celui d'un archéologue qui ferait une découverte au coeur de la Vallée des Rois.
Pour ma part, j'ai eu la chance de trouver deux documents certes modestes mais malgré tout assez jubilatoires...il s'agit d'une part d'une brochure présentant la gamme Traction Avant 7-11-22, et d'autre part d'un Tarif client datant d'Octobre 34 et qui comprend le fameux modèle. Ces documents sont rares sans être introuvables. Ma quête personnelle ne s'arrêtera pas là...Certains collectionneurs possèdent des trésors beaucoup plus précieux, voire totalement inaccessibles...ainsi, un certain Lucien Loreille a mis la main par hasard sur ce qui semble être la seule pièce spécifique de 22 jamais trouvée : un entourage de phare très caractéristique, un autre a retrouvé la pancarte de présentation du modèle au Salon de l'Auto 1934...Il existe également de très rares et luxueuses brochures et de nombreux articles dans les journaux de l'époque...autant de témoignages qui rendent le mythe un peu plus réel, presque palpable. Reste à trouver un exemplaire du modèle, une 22, une vraie...est-ce possible? Peut-être. Est-ce souhaitable ? Peut-être pas...pour que le mythe demeure...
Crédit photographique : www.parisenimages.fr
A lire absolument sur le même thème : La Citroën Traction Avant de mon Père, par Yves Buffetaud et Antoine Demetz, Editions E.T.A.I. (voir également Ma Bibliothèque)
Je connais un monsieur dont l'oncle lui a raconté qu'un ami de la famille de sa femme avait rencontré quelqu'un qui avait vu une 22 garée dans une grange... Il ne savait plus très bien où... C'était près d'une ferme, à côté d'un petit bois, à droite de la route en allant vers Paris...
Rédigé par : Thierry | 17 avril 2009 à 17:14
C'est la bleue, c'est la seule qui reste, la rouge cabriolet a été vendue en 1951.
Rédigé par : François | 05 février 2010 à 23:04
Si vous voulez en savoir plus, regardez mon site: www.tollius-schook/nl avec un article en français sur la 22.
Rédigé par : Han Schook | 16 décembre 2011 à 14:49