Les routes

"Nous sommes un pays de plaines. Une grande table d'argile creusée de vallons par les eaux. Chez nous, les routes sont heureuses.

Les rudes pays de montagnes, là-bas dans le Centre et le Sud, je les ai parcourus à pieds cent fois au temps de ma jeunesse. Les routes y vivent d'obstacles. Elles se heurtent à chaque pas contre l'abîme et la muraille. Mais quelle prudence est la leur ! Comme elles sont sages et défiantes ! Elles hésitent longtemps avant de partir à l'aventure. Elles abordent les pentes avec des détours et des lenteurs. elles sentent que l'effort sera long. Elles sont sublimes à la longue et comme par nécessité.

Chez nous les routes sont heureuses. Elles ignorent tout de l'effort. Alors quand elles rencontrent une colline, elles se jettent dessus avec tant de hâte et même de désinvolture et surtout tant d'imprévoyance que le voyageur s'essouffle et songe, non sans un peu d'humeur, à ces routes qui savent, sans perdre haleine, passer par-dessus les nuages..."

                                                        Georges Duhamel, de l'Académie française. 1937.