Interview de Gustave Dumas réalisée le 10 octobre 2009 à Aubenas
2 ème partie : après-guerre
Quel a été votre premier contact avec la marque ?
Par l'intermédiaire de mon père, qui était un vrai fanatique de Citroën et qui a eu presque toute la gamme. Je connaissais ainsi déjà très bien le garage Citroën d'Aubenas, et une partie du personnel. A l'époque j'étais jeune, je travaillais chez mon père...sans salaire. Mais quand j'ai rencontré ma future femme, il me fallait gagner ma vie... Elle m'a rapidement parlé de son oncle, François Bonnet, PDG dudit garage et qui cherchait un collaborateur de confiance pour l'assister.
Le rendez-vous est pris, François Bonnet me reçoit et je lui explique que je ne suis pas d'une famille de commerçants, que l'automobile m'intéresse mais que je n'y connais rien. Je souhaitais pouvoir faire un essai avant de me décider. J'ai donc démarré le 2 novembre 1954. J'arrive au garage et mon oncle me place au magasin de pièces de rechanges, puis il m'a rapidement emmené avec lui chez des clients et j'ai commencé à partir avec des vendeurs. J'ai tout de suite vu que ça me plaisait. Et je suis resté. Ça n'a pas été plus compliqué que ça...
A quel moment avez-vous pris la direction de la concession ?
En 1960, mon oncle avait 60 ans. Il était PDG de la société et moi Directeur Général. Citroën faisait pression pour que je sois concessionnaire (car j'étais jeune), mais il y avait un problème cà surmonter car mon oncle était majoritaire dans la société. Grâce à mon père j'avais pris 10% du capital mais je n'avais pas les moyens de reprendre la société. Il a fallu encore du temps pour que je devienne PDG et concessionnaire en 1966.
Vous avez aussitôt pris la décision de construire un nouveau garage ?
Au
début des années 60, nous commencions être à l'étroit dans nos locaux
du centre-ville. Nous avons trouvé un terrain en périphérie. Beaucoup
ont
critiqué ce choix à cause de l'éloignement d'Aubenas ; j'étais une des
rares personnes à croire au développement de la Nationale 102. Mon
observation
était simple : Aubenas se situant sur l'axe
Auvergne -Vallée du Rhône,
la ville constituait un passage obligé pour la côte
d'Azur, Marseille, le
Languedoc. Toutes les autres routes étaient secondaires. Certains terrains coûtaient moins cher mais je n'ai pas hésité à
prendre le
risque d'être la première entreprise sur cette route où il n'y avait
aucune construction. C'est d'ailleurs moi qui l'ai
baptisée "Route de Montélimar", hésitant entre route de Villeneuve ou de
Viviers. Au départ, j'avoue ne pas avoir été très sûr de moi et mon
oncle voyait d'un mauvais œil cet éloignement.
L'avenir me donna raison. Mon oncle avait décidé de me laisser voler de mes propres ailes...et je me suis lancé sans grands moyens financiers dans cet investissement. Sans les prêts bancaires et les avances de Total (j'avais décidé de construire une Station Service devant le garage, ce qui m'a beaucoup aidé au début...), je n'aurais jamais réussi ce projet. J'ai "ramé" pendant quelques années car il fallait que je rembourse les prêts et dans les années 67-68 Citroën traversait une période plus difficile. J'ai passé le cap et je me suis débrouillé tout seul : pourtant mon frère était banquier mais je n'ai pas eu besoin de lui demander de l'aide...
Parlez-nous des produits de l'époque...
Nous vendions d'abord de la DS, des 2 CV puis des Ami 6 et 8 ainsi que beaucoup de type H. Les plus grosses ventes furent les 2 CV et surtout l'Ami 6 : ça partait comme des petits pains. J'en avais toujours deux ou trois d'avance, de couleurs différentes. Les gens venaient, choisissaient et repartaient avec la voiture...
Vous avez donc vécu quelques lancements marquants...
Effectivement, comme celui de l'Ami 6, à la toute nouvelle usine de Rennes-la-Janais. Ou le lancement de la DS qui s'est déroulé pendant le Salon de Paris en octobre 1955 : il n'y a pas eu de réception ni de présentation au réseau, rien ! Nous nous sommes rendus au Salon, il y avait un monde fou qui venait signer des bons de commande. Pendant ce temps, à Aubenas, le vendeur avait signé 80 DS...C'était incroyable, je n'avais jamais vu ça. Les clients venaient signer sans voir la voiture puisque la première fut livrée par le garage en avril 1956 ! Nous n'en avions même pas une pour mettre en démonstration. Puis j'en enfin eu la mienne qui me causa quelques soucis de jeunesse...
Autre lancement, celui-ci assez désastreux : la GS. Chaque concessionnaire repartait avec sa voiture. Sans vous mentir, sur les 40 premiers kilomètres, au moins dix tombèrent en panne. Les premières n'étaient pas au point. On était un peu stressés à chaque nouveauté à l'époque....
Comment se sont passées les premières livraisons de DS ?
On a fait un battage terrible mais elle était avant tout extraordinaire : sa ligne, sa tenue de route, sa suspension, la première voiture avec la direction assistée, les freins à disque...tous les industriels, le corps médical, tous les plus gros commerçants en voulaient une. Je me souviens aussi d'un architecte qui me faisait de la publicité auprès des entrepreneurs en bâtiment qui n'eurent tous pendant longtemps que des DS. Malgré les problèmes de fiabilité du début, ils sont restés très fidèles. J'ai également quelques souvenirs mémorables des problèmes de fiabilité que nous avons subis au lancement.
Un jour, je rejoins avec ma DS de démonstration ma femme qui se trouvait en Savoie. Elle se trouvait avec la femme d'un concessionnaire Berliet de Lyon qui me demanda à l'essayer. Je lui réponds "Pas de problème !", elle l'essaye, j'entends un bruit suspect, je reprends le volant et je me rends compte qu'il y avait une grosse fuite hydraulique. Je pars sur Grenoble chez Ricou, j'achète plusieurs bidons de liquide hydraulique et je repars pour Aubenas, que j'arrive à rejoindre.
La DS a connu de gros problèmes de fiabilité au lancement ?
Au début, ça a été terrible. Mon téléphone n'arrêtait pas de sonner : un de mes clients qui était à St Tropez : "Qu'est-ce que c'est que cette DS, je suis en panne !"...au même moment, un autre client à Aubenas, en panne également. Un autre était à Milan, et a laissé sa voiture sur place : il est rentré en train. Il y a eu des histoires mémorables. Un des industriels de la région m'avait acheté deux DS. Je lui avais d'ailleurs repris une Delahaye magnifique, carrossée par Chapron. Il m'appelle un jour pour me dire qu'il ne voulait plus de ses DS, qui avait un problème de suspension bruyante. Il me dit : "tu me prends les deux DS, et tu me les ramènes demain matin. Si le problème est résolu, on les garde, sinon, j'achèterai une Mercedes". Je vais voir le Chef d'Atelier et un mécano, et je leur explique le problème. Nous n'avions pas le choix, il fallait y passer la nuit ; nous avons fait des essais, nous avons tenté des réparations, des soudures. Le lendemain matin, je ramène les voitures, pas très sûr de moi, mais ça a marché. Au lancement, le réseau n'était pas prêt à réparer la DS qui n'était pas fiable. Le problème c'était le liquide rouge : il générait des fuites terribles. Heureusement que la mécanique tenait le coup. Par la suite, la DS est devenue fiable avec le passage au liquide vert. Les voitures n'étaient garanties que 6 mois à l'époque...
La DS était réellement extraordinaire et n'avait pas beaucoup de concurrentes. Nous vendions beaucoup de Pallas. J'en prenais toujours une en démonstration, et les clients me disaient "Mettez m'en une comme la vôtre"... Les dernières, les 23 injection étaient terribles : on allait à Paris en tenant de sacrées moyennes. Il n'y avait pas les limitations de vitesse à cette époque.
En revanche les DS d'occasion, c'était la catastrophe. Elles étaient difficiles à revendre. On les repeignait toutes, il fallait les garantir pour rassurer les clients.
J'ai repris beaucoup de Versailles sur l'achat de DS. Entre nous, c'était une voiture inconduisible ! Quand on les reprenait, on leur mettait 4 pneus X de chez Michelin, ça changeait tout...
A quelle occasion montiez-vous à Paris ?
Je faisais partie du groupement des concessionnaires qui organisait une réunion par mois. Sinon, Citroën organisait une réunion deux ou trois fois par an. Avec le groupement, nous retrouvions les mêmes collègues, nous déjeunions ensemble, nous passions de bons moments. Nous parlions beaucoup des rapports avec Citroën, par exemple les problèmes de fiabilité des DS : nous voulions faire admettre au constructeur qu'il fallait des modifications. Nous parlions aussi commerce. Nous avions même fait des assises de concessionnaires au début des années 60 : ça chauffait pas mal avec le constructeur à ce moment au sujet des remises, des modèles, des affectations de voitures etc...
Vous aviez aussi des commissions ?
Oui, des commissions pièces détachées, technique, commerce...
Aviez-vous de bons résultats commerciaux ?
Oui,
nous avions de bons résultats et une bonne part de marché sur le
secteur, donc on ne nous embêtait pas trop. Je peux vous garantir que
ceux qui avaient des résultats insuffisants étaient harcelés. On
recevait tous les mois les immatriculations, les réalisations sur le
secteur. Nous étions très performants au niveau du fichier commercial :
chaque matin, la secrétaire commerciale sortait les fiches pour chaque
vendeur qui y reportait ce qu'il avait fait pendant la journée. Le
rapport des ventes avait lieu tous les matins. Par exemple, le vendeur
faisait une tournée sur un secteur déterminé. La secrétaire lui sortait
des fiches, avec un certain nombre de relances à effectuer. On avait
aussi des critères, par exemple tous les possesseurs de Juvaquatre. On
parlait souvent de deuxième voiture quand on allait chez les clients,
"pour madame". Autre bonne idée oubliée aujourd'hui : la visite après
livraison, environ un mois ou un mois et demi après. Un vendeur qui
savait y faire y trouvait toujours des renseignements. Un client qui
est content de sa voiture a toujours des choses à dire, au sujet d'un
voisin qui doit remplacer son véhicule prochainement, par exemple. (Remarque de José Menon : "aujourd'hui, ce contact existe toujours mais c'est un appel téléphonique").
Gustave Dumas ajoute : "c'est normal qu'on s'occupe d'un type qui vous
a fait confiance et qui vous a acheté une voiture. Nous avons un rôle
important dans le service après-vente. A Paris, c'est peut-être plus
anonyme mais à Aubenas, le vendeur Citroën... tout le monde le
connait ! "
Il n'y avait aucun vendeur dans le showroom : ils étaient tous sur le secteur, sauf le samedi. On vendait surtout à domicile. Un vendeur sortait 20 fiches par jour et allait voir dix clients. On faisait la position acheteur, on notait le kilométrage, on lui laissait un prospectus. Par contre ce qui ne marchait pas c'était l'appel téléphonique.
Quels sont d'après vous les secrets des bons vendeurs ?
Ce sont avant tout des personnes chaleureuses. J'avais un vendeur bon vivant, jovial qui passait bien auprès de la clientèle : la vente c'est un métier, il faut aimer ça, aimer le contact, se prendre au jeu. Quand le vendeur allait chez le boucher, il parlait de viande, chez l'épicier de sucre et de farine, chez le charcutier, de cochon. Il se mettait à la portée de tout le monde, il passait bien. Et il n'oubliait jamais de parler aux épouses : Elles ont un rôle déterminant dans l'achat d'une voiture, au dernier moment ce sont elles qui disent à leur mari quel modèle elles préfèrent...Certains modèles comme la Dyane ou l'Ami 6 étaient particulièrement adaptées aux femmes. Par contre je n'ai jamais eu de vendeur femme, malheureusement.
Et les concurrents ?
Ils étaient moins bien organisés que nous. Le plus gros c'était Renault, qui m'a couru après pendant longtemps pour que je prenne le panneau. Le concessionnaire était très désorganisé, il suivait mal ses vendeurs, il avait des moyens financiers mais ne se souciait guère de la gestion. J'étais en très bons termes avec les concessionnaires Renault et Peugeot. Chez Citroën, nous étions bien organisés, et nous avions les meilleures infrastructures. Malgré les nouveautés présentées par les concurrents, nos clients sont restés fidèles. Certains de mes clients étaient Citroën depuis toujours, et le sont restés.
Et les animations commerciales ?
Nous faisions beaucoup de choses : des caravanes publicitaires avec une DS sonorisée, des foires, les marchés. On y rencontrait nos clients, les producteurs, les marchands de bestiaux, puis on allait déjeuner ensemble. Des bons clients mais difficiles en affaires à l'heure du choix de la bétaillère...
On faisait des remises à l'époque ?
Non, pas de remise directe, mais des petits cadeaux et surtout un effort sur les reprises.
Il y avait des modèles plus difficiles à vendre que d'autres ?
Je
me souviens des GS, très difficiles à vendre en occasion. J'avais d'ailleurs à l'époque un
très bon meccano qui partait régulièrement en vacances au ski. Un jour il passe
me voir et me dit qu'il allait changer de destination pour ses vacances. En réalité, certains
savaient qu'il travaillait chez Citroën et tout le monde l'appelait
parce que les GS ne démarraient pas lorsque la température était trop
glaciale...
Sinon, la Visa, quelle déception ! On avait un potentiel de clients énorme mais les gens attendaient autre chose, une Citroën. Mais elle était laide.
(José Menon : "Je me souviens du lancement de la Visa, puis de la Visa II : on avait malgré tout un certain enthousiasme"...)
Gustave Dumas reprend : Ils ont présenté la Visa pour la première fois bien avant la sortie. Ils nous avaient donné un questionnaire. Je me souviens avoir été sévère. Le tableau de bord était abominable. C'est dommage.
L'arrivée de la CX, ça n'a pas été non plus le rush au début mais on en a vendues En particulier des Prestige.
(José Menon : "Mais quand elle est sortie juste après la DS, elle n'avait pas de direction assistée, des sièges en tissus, un seul essuie glace, une aération moyenne".)
Oui, c'était dans les habitudes de Citroën de sortir des premiers modèles tristounets, comme l'ID en son temps. C'est dommage. Ce qui compte avant tout, c'est la ligne. Qu'elle soit laide ou belle, le prix de revient est le même.
Comment avez vous perçu le constructeur entre 1960 et 1970 ?
Je ne sais pas si ils nous écoutaient beaucoup. Ils étaient quand même un peu dans leur tour d'ivoire. C'est dommage, il n'y avait pas assez de dialogue. Je me rappelle que quand la CX est sortie, on avait planché toute une journée sur les améliorations à apporter, mais nos suggestions restaient sans réponses.
Pouvait on dire que c'était un "réseau d'amis", comme Citroën lui-même aimait le dire dans ses discours ?
Avec le Groupement des concessionnaires, on était tous les mois à Paris, donc on se connaissait bien. J'étais ami avec Ricou. Quand on faisait des voyages, il disait : "moi je ne pars que si il y a Dumas !". On a fait beaucoup de voyages, Hong Kong, la Chine...qu'on gagnait, avec SOVAC (société de financement) ou TOTAL, ou encore avec la Direction régionale. On emmenait aussi les agents. (José Menon : "les liens qui existent entre quelques distributeurs se faisaient par l'intermédiaire du groupement.")
Dans le midi, il y avait de grosses succursales et quelques belles affaires. Je me rappelle à Perpignan, l'ancien concessionnaire était un ami de Citroën, il avait construit un très beau garage et Citroën était venu en personne pour l'inaugurer. Il avait déclaré : la famille Marouet sera concessionnaire à vie. Deux ans après, les Michelin les résiliaient !
Moi j'arrivais avec mon contrat de 600 voitures, certains en avaient 2.000. Chez mon ami Ricou, il y avait 25 personnes au rapport le matin.
Une chose m'avait marqué, quand nous avons fait cette grande réunion du réseau à Chambord il y a quelques années, nous n'étions que 7 à avoir un enfant qui a repris l'affaire. Les enfants ne suivent pas beaucoup dans ce métier. Pour ma part, ça s'est fait naturellement : François cherchait un peu sa voie, je lui ai proposé, c'était à lui de choisir : si il ne la voulait pas, j'aurais liquidé l'affaire.
Mon père, qui était dans le textile m'avait dit : "fiche le camps de ce métier, c'est fini." Moi je n'ai jamais dit à mes enfants : "C'est le meilleur des métiers" ; je ne leur ai jamais non plus dit "c'est un métier de con". Moi j'y ai été heureux. Je recommencerais ma vie, je referais la même chose. Ça m'a plu, c'était dans mon tempérament, et puis, c'est aussi l'admiration pour Citroën, pour l'homme...pourquoi ? Je n'en sais rien, ça m'a toujours passionné.
Vous
parliez des voyages tout à l'heure. Il y en avait aussi d'un autre genre : vous alliez parfois chercher les voitures des clients à
l'usine...
Oui parce que quand on faisait des wagon avec 3 ou 4 voitures pour une petite concession, il fallait attendre une semaine. Donc comme les gens étaient pressés, on envoyait un chauffeur prendre la voiture à l'usine. Beaucoup de clients allaient eux-mêmes chercher leur voiture car cela permettait de monter à Paris. ils allaient Rue de Javel chez le transitaire. Nous quand on descendait, on ramenait aussi des voitures, dont nos voitures de démonstration. On montait en train, en Mistral, on partait à 18h00 à Valence et on était à 23h00 à Paris. Quand on redescendait, parfois on partait à plusieurs, toujours par la N6. Nous nous arrêtions manger dans les bonnes tables puis nous reprenions la route, sans dormir...nous étions jeunes.
La reprise par Peugeot ?
Nous n'étions pas au courant de la situation. Nous ne savions pas que Citroën était en si mauvais état. Par contre, nous ne sommes pas plus en concurrence avec Peugeot qu'avant, même si nous avons eu quelques modèles semblables. Pour nous ça ne nous a pas amené beaucoup de changement.
Comment avez-vous fait face au passage à vide de la marque à la fin des années 70 ?Pour moi, ça a été simple, j'ai dû me séparer de 10 personnes sur 40. Si je n'avais pas fait ça, je me serais cassé la gueule. Un vrai passage à vide. Je sortais de la construction du garage, de son agrandissement. J'avais une trésorerie un peu juste. Les vendeurs ne gagnaient plus leur vie, ils n'étaient pas contents ; mais on étais jeunes, on y croyait. La confiance dans la marque n'a jamais faibli. J'aurais pu aller chez Renault mais ça ne me plaisait pas. C'était Citroën ou rien.
Et les années 80 ?
La BX a bien marché, c'était une bonne voiture qui s'est bien vendue. Moi je suis parti en 92. François préfère travailler tout seul qu'avec son père. Quand on est habitué comme moi à voir du monde et qu'on se retrouve du jour au lendemain à faire son jardin, c'est très dur. Moi j'aurais aimé rester au garage et m'occuper de certaines choses et du jour au lendemain j'ai tout arrêté. Mais c'est normal, c'est son garage à présent. Moi je fais partie d'une génération où on était un peu soumis aux parents. Maintenant les enfants prennent leur indépendance...c'était une autre époque mais c'est comme ça. Vivre ça n'a pas été facile. Ce qui me manque le plus ce sont les collègues. Ne plus les voir du jour au lendemain, c'est difficile, plus que de ne plus voir les clients par exemple.
J'ai malgré tout conservé quelques activités : administrateur de la caisse de retraites des cadres de l'automobile, je me suis occupé également des prud'hommes. Aujourd'hui le garage tourne bien et François s'en occupe bien, c'est l'essentiel.
Quelles ont été les principales évolutions du métier de concessionnaire après plus de 30 ans à la tête du garage Bonnet/Dumas ?
Avant on vendait les voitures chez le client, maintenant, les clients viennent jusqu'au showroom. Nous avions à l'époque deux voitures exposées, maintenant c'est différent. Les agents ont presque tous disparu alors qu'avant ils réalisaient plus de 50% de nos ventes.
(José Menon : "Le comportement du consommateur évolue mais on ne retirera jamais le contact humain").
Je pense que le showroom c'est très bien. Mais il faut y mettre une fille qui accueille tout de suite le client, qui le prenne en charge. L'accueil, c'est très important.
(José Menon : "De la même manière, raccompagner quelqu'un après une visite en concession est très important"). (G. Dumas acquiesce).
Comment voyez vous l'évolution actuelle de la marque ?
Elle fait beaucoup d'efforts, il y a une belle gamme. Je pense que l'avenir sera malgré tout difficile parce que nous n'exportons pas assez. Il suffit de voir VW, les Japonais. Dans peu d'années, il y aura des regroupements. C'est inéluctable si nous n'exportons pas plus. Regardez Peugeot en Afrique : ils se sont fait débarquer par les Japonais et les Chinois.
Peut-être qu'un jour on vendra des Citroën ainsi qu'une autre marque, qui sait ?
(José Menon : "Il faut qu'il y ait toutefois une logique industrielle".)
Quel est votre pire souvenir ?
Quand j'ai dû licencier.
Et le/les meilleurs ?
Il y a eu des coups de cœur. Quand on est arrivés au Salon de l'Auto et qu'on a vu la DS. On attendait tellement ce nouveau modèle, ça a été extraordinaire. Ça nous a fait un effet incroyable, plus qu'un nouveau modèles, quelque chose de mythique. Je peux aussi vous citer au rayon des bons souvenirs l'inauguration du garage ou le lancement de la SM.
Si c'était à refaire ?
Aucun problème ! Alors que je n'aurais jamais pensé vendre des voitures. J'ai aimé ce métier qui correspondait bien à mon tempérament !
Pourquoi avoir gardé une collection de modèles Citroën ?
J'ai l'esprit conservateur et il se trouvait que j'avais ce local sous ma maison. je n'allais pas y mettre un atelier, alors j'y ai mis des voitures, et maintenant il est plein !
Si vous deviez en garder une ?
Une Traction 15 ou une SM.
Je remercie Monsieur Gustave Dumas ainsi que son fils François pour cet excellent moment passé ensemble, pour leur patience et pour le plaisir que nous avons eu à évoquer ces souvenirs. Je remercie également Monsieur José Menon qui a rendu cette interview possible. Espérons qu'il y en ait d'autres...
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